Durant l’été 2018, nous avons eu pour objectif de gravir les cinq grands massifs français à vélo. Ce défi, nous nous le sommes lancé un peu par hasard, en discutant autour d’un café.
Nous, c’est Pascal 67 ans et Laetitia 36 ans, couple atypique, on aime tester nos limites et vivre intensément.
Le voyage à vélo nous permet de découvrir de nouvelles facettes de nous-même et ce jour-là, au milieu des Alpes avec nos vélos chargés de 40 kilos, on s’est découverts !
Demain matin, nous aborderons un géant, il est difficile de définir notre état en cette soirée. Inquiet ? Pas vraiment. Fébriles, sûrement un peu ! Sommes-nous obsédés par ce roi des Alpes ? Sans aucun doute.
Notre plat de résistance, 48 kilomètres d’ascension, se présente à nous avec un pourcentage moyen de 4 % et une pente maximum de 6,9 %, l’inclinaison n’est pas vraiment effrayante. Par contre, la distance nous laisse perplexes, nous n’ignorons pas qu’avec l’accumulation de la fatigue au-delà des 2000 mètres l’effort et la respiration peuvent être plus compliqués. Voilà ce que nous savons. Mais allons-nous tenir le coup sur la longueur ? Comment notre organisme réagira-t-il à partir d’une certaine altitude ? Nous n’avons pas la réponse, mais être conscient de tout cela nous permet de rester calmes et sereins.
Nous programmons un lever à 4 heures du matin, car nous n’avons aucune idée du temps que nous allons mettre pour avaler tous ces kilomètres. Lorsque le réveil sonne, il fait encore nuit noire. Nous absorbons un bon petit déjeuner et nous plions nos bagages. À l’inverse des autres jours, c’est nous qui réveillons les oiseaux ce matin, mais ils ne nous en tiennent pas rigueur et nous stimulent avec leurs chants. Nous sommes confiants et l’ambition d’arriver au sommet de ce col majestueux est bien ancrée en nous.
Nous parlons de l’Iseran et ses 2770 mètres, le passage le plus élevé de notre périple. Cette montée nous obnubile, je la connais presque par cœur après avoir regardé le profil maintes et maintes fois sur internet. Nous sommes enthousiastes et empressés de chevaucher nos vélos pour en débattre, nous savons que nous allons souffrir, mais la réussite n’en sera que plus grande. Départ à 5 h 30, nous donnons les premiers coups de pédales et il est hors de question d’aller trop vite, de perdre des forces dans une exubérance inutile. Concentrés et heureux de réaliser ce défi, nous nous engageons avec un jour qui commence à se lever sous l’acclamation d’un concert oiselesque. Le soleil illumine les sommets alentour, les neuf premiers kilomètres sont agréables et permettent un bon échauffement. Les 14 suivants l’inclinaison est d’une moyenne de 6 %, nous les avalons tranquillement, le paysage est sublime, cette aurore est un son et lumière offert par la montagne. Nous traversons des tunnels de paravalanche, la pente se calme un peu sur six kilomètres et nous voici à Val d’Isère… 9 h 30.
Nous nous octroyons une pause casse-croûte et un moineau vient se poser sur notre sac cuisine, non pas pour nous voler de la nourriture, mais nous féliciter et nous encourager. Il porte un message de la part de toutes ses cousines et cousins qui nous ont vu partir à l’aube ce matin : vous êtes sur la bonne voie, vous allez gagner votre pari. Nous, le monde des volatiles, nous le savons. Merci petit piaf !
La route à la sortie de Val d’Isère est une ligne droite interminable avec une douce déclivité ; il nous reste 18 kilomètres avec une inclinaison moyenne de 6 %. Nous commençons à ressentir un manque de préparation. Le muscle grand glutéal se met à nous brûler, cela devient insupportable et tous les trois kilomètres nous posons pied à terre pendant quelques minutes pour calmer la douleur. Les quadriceps, dans une moindre mesure, se rappellent eux aussi à notre souvenir. Nous profitons de ces pauses pour admirer le paysage grandiose et repartons plus déterminés que jamais. Nous y arriverons par sauts de puce, mais nous y arriverons.
Nous passons le pont Saint-Charles à 2054 mètres, nous savons que nous tenons le bon bout. Il nous reste douze kilomètres et 720 mètres de dénivelé. Mon compteur oscille entre cinq et sept kilomètre-heure, cette fois-ci, les arrêts successifs nous servent aussi à calmer notre respiration et nos battements de cœur.
Nous avons droit à des pouces levés et des signes de la main des nombreux camping-caristes et motards. Quand nous arrivons dans un virage en épingle à cheveux, nous n’empruntons pas la corde afin d’éviter une pente trop sévère et nous nous déportons au milieu de la route ; voire carrément sur notre gauche pour passer sur sa partie la plus douce. Les chauffeurs de véhicules à moteur compréhensifs s’arrêtent pour nous laisser la voie libre, aucun n’aura l’outrecuidance de nous klaxonner. Quant aux cyclistes sur leurs vélos de course qui nous doublent, ils ont toujours un mot chaleureux, certains restent à notre hauteur pendant quelques tours de roue, curieux ils nous posent quelques questions. Ce composite de marques de sympathie nous fait oublier notre douleur. Je me souviens d’un monsieur aux cheveux plus gris que les miens, qui me fit cette réflexion : « félicitations, moi déjà j’en chie avec mon vélo léger, alors vous : bravo ! »
Dans ces moments, notre cœur déborde d’émotion et il m’arrive d’essuyer une larme au coin de l’œil. De pause en pause, de contemplation en émerveillement, nous atteignons le col de l’Iseran à 2770 mètres d’altitude, 48 kilomètres de montée en 5 h 10, le décompte des répits étant effectués.
Nous sommes fiers et heureux !!! C’est une importante victoire sur nous-même. Nous fourmillons de satisfaction et de joie qui s’expriment par le rire et une congratulation de tendresse.
Extrait du livre “Lever de soleil sur la vie”
Pascal Thibaulot
Pascal Thibaulot, 69 ans sur les routes à vélo, à pied ou en camping-car depuis 4 ans. J'aime écrire et partager nos découvertes et sentiments. Avec mon épouse, le voyage à vélo nous a semblé une évidence et je propose quelques anecdotes mémorables. Notre blog : nos rêves de bohême
Je me souviens moi aussi des encouragements que nous donnaient les cyclistes en vélos de course dans l’ascension du Col de la Croix Saint-Robert (Puy-de-Dôme). Ils nous tiraient leur chapeau, mais je crois qu’ils ne se rendaient pas compte de la lenteur à laquelle on montait ! Je ne suis pas sûr du tout que j’aurais été capable de monter aussi vite qu’eux, même sur un vélo léger.