Toussaint 2020. Pour changer de décor et obtenir un dernier sursis de temps clément, on avait jeté le dévolu de nos dix jours de vacances sur la Haute Provence, dans le Parc Régional Naturel du Verdon (l’autre bout de la France).
Paraît-il qu’en venant à cette saison on aurait échappé aux grandes chaleurs et aux nuées de touristes inhérentes aux beaux jours. Ma foi ça me semble une très bonne chose ! Mais on a aussi pu se délecter d’une saison dont on ne profite généralement pas assez. Réfugiés bien au chaud dans nos maisons confortables, on passe trop facilement à côté des raffinements de l’automne. La fraîcheur vivifiante des matins alpins ; l’émerveillement des premières gelées sur le bivouac ; et ce feu d’artifices dans les arbres, éclatants de jaune, d’orange, de rouge ! Quelle saison ! Quel pays ! Quel délice d’être en nature !
Des pénitents des Mées aux plateaux cultivés de lavande donnant vue sur le Lac de Sainte-Croix ; du village pittoresque de Moustiers-Sainte-Marie au pittoresque village de La Palud-sur-Verdon, par les pistes et chemins de montagne ; puis suivant la route des gorges à travers Castellane, le long du Lac de Castillon, et jusque Saint-André-des-Alpes ; nous nous sommes ensuite élevés vers Lambruisses et le col du Défens, qui redescend sur Tartonne ; d’où nous sommes repartis à la grimpette, sur les chemins de mules qui mènent au Col de la Cine ; avant de redescendre longuement sur Draix et Dignes-les-Bains ; et de suivre enfin le cours de la Bléone jusqu’à notre point de départ.
Pour les chiffres : 215Km tranquillement parcourus en six jours de route et deux jours pluvieux de relaxe, assortis d’un copieux dénivelé de 5200m.
Pour nous permettre de profiter au mieux de ce que le pays a à offrir, et pour nous immerger autant que possible en nature, j’ai voulu — plus encore que lors de nos précédentes escapades — nous faire quitter le tarmac. C’est une direction que je tends à prendre depuis quelques temps, en vue de laquelle on expérimente étape par étape. Ce coup-là on a franchi un pas un peu plus grand.
Rien que sur pistes carrossables, notre plaisir monte déjà d’un cran : sous nos pneus, pas de ce bitume qui symbolise à lui seul ce que notre civilisation produit de plus sale ; et de part et d’autre de la voie, les arbres et arbustes plus resserrés, comme nous concédant avec bienveillance un passage sur leur territoire. Sur ces routes cahoteuses, évidemment beaucoup moins de voitures ; ce qui nous procure paix et sécurité. Autour de nous, du même fait, moins d’habitations et de constructions humaines, un environnement mieux préservé.
Ce caractère se trouve plus marqué encore quand on s’engage sur des traces plus resserrées ou cabossées, que ne peuvent emprunter même les plus tout-terrain des 4x4. Sur ces chemins, on accède a des endroits, à des panoramas de plus grande exception. Le tarmac n’offre que rarement l’accès à de pareils environnements — en fait jamais, puisque le tarmac lui-même altère l’environnement.
Je dis tout ça sans même penser en termes d’écologie et de protection de la planète ; juste au sentiment particulier — et au plaisir — de se sentir en nature, en contact privilégié avec les éléments, la faune, la flore.
Pour autant, le vélo, qui permet de rallier des points de ravitaillement relativement distants (plus distants en tout cas que la marche), ne permet pas de s’aventurer exactement partout. Sans chemin, on ne passe pas à vélo (le plus souvent). Il faut que la voie ait été ouverte, et soit sinon forcément entretenue, du moins pratiquée avec assez de régularité pour ne pas se trouver engloutie sous la végétation, les éboulis, etc.
Cette nouvelle équipée nous a néanmoins donné d’expérimenter des limites plus vastes que celles qu’on aurait imaginées. Lorsqu’il n’est plus possible de pédaler, pousser les vélos offre le moyen de poursuivre encore beaucoup. À l’occasion, on a aussi pu les soulever au delà d’obstacles qui barraient la route ; et même encore porter successivement vélos et bagages, pour surmonter des embûches plus délicates.
Jusqu’il n’y a pas si longtemps, je prenais pour déshonorant de mettre pied à terre, et de pousser. Je considère maintenant que c’est le moyen d’approcher d’autres terrains de découverte, autrement inabordables.
Évidemment il faut être préparé — psychologiquement et physiquement. Pour passer les cols de randonnée et prendre à contre-sens les descentes de VTT, on s’est donnés comme jamais. Les cols Tadjikes (à plus de 4000m) ne nous avaient pas donné tant de peine. Pas moyen d’y aller doucement ; il a fallu forcer, avec des pauses régulières pour meilleur moyen de ne pas voir nos cœurs exploser.
Dans le même temps, on a dû redoubler de précautions. Sur ces chemins difficiles, le risque d’accident — ne serait-ce qu’une cheville tordue — est plus grand, et nous aurait mis dans un bien plus ennuyeux pétrin que sur le bord d’une route. Les randonneurs, les alpinistes connaissent bien ça je suppose...
Poussés à la limite de nos capacités physiques, et dans des situations qui devenaient plus hasardeuses, j’ai pris mentalement quantité de notes pour l’avenir, quant à ce que nous sommes capables de faire, ou non, et au prix de combien d’efforts.
Aspect matériel de l’entreprise, nous avons pu expérimenter une autre façon de nous équiper, qui se voulait plus propice à arpenter les terrains difficiles.
Quelque part entre le bikepacking et les classiques quatre sacoches sur porte-bagages, il semble qu’on ait trouvé un compromis qui nous correspond bien. Partir un peu plus légers nous aurait soulagés dans les passages les plus difficiles, mais je crois qu’on en aurait bavé quand-même. Je note surtout que nous défaire des sacoches arrière a été très bénéfique quand il s’est agi de pousser les vélos, et qu’à l’avenir il serait judicieux de trouver des itinéraires un peu moins hardus quand-même.
Le changement de guidon que j’avais opéré peu auparavant s’est également avéré très profitable. Du cintre papillon que j’avais adopté pour nos premiers voyages, j’étais passé au cintre droit (assorti de cornes et poignées ergonomiques). J’y ai considérablement gagné en maniabilité, et même en confort. Nathalie, qui n’avait pas encore reçu ses Denham Bars, a eu plus de mal à tenir sa direction dans les passages difficiles.
Bref. Très contents de notre escapade. Le surcroît de difficulté, contrebalancé par des étapes plus courtes, a valu le coup. Quand la difficulté est adaptée, je trouve stimulant l’aspect technico-ludique du VTT. Le plus difficile je trouve est encore de trouver un itinéraire. (Les options asphaltées sont souvent plus nombreuses de nos jours que celles dont l’authenticité est mieux préservée.)
On a depuis plus d’une fois remis le couvert, pour des week-ends autour de chez nous. (Sur des parcours plus soft.) La Bretagne a beau être très bien pourvue en petites routes tranquilles, le sentiment de liberté et de proximité avec la nature est bien plus grand quand on s’affranchit du bitume.
Pour nos prochaines vacances, on compte suivre une partie de la Grande Traversée du Massif Central. Il me tarde d’arpenter cette nature, de m’amuser sur la trace, de savoir si on y arrive !
Après cinq ans passés au Proche-Orient et en Amérique Centrale, je suis venu au vélo par intérêt pour le voyage. D’abord un tour en ma Bretagne natale, puis quelques équipées sur des terrains plus relevés, et bientôt je partais pour six mois de route entre Asie du Sud-Est et Asie Centrale.
Il m’est difficile à présent de concevoir un voyage sur un autre mode ; et pour toutes mes vacances ou presque, ainsi qu’un certain nombre de mes week-ends, je charge le matériel de camping pour une échappée vélocipédique au grand air, au pas de ma porte ou au bout du monde.
Informaticien à mes heures perdues, je suis également le développeur-éditeur-modérateur-dictateur de ce site, et du planificateur de voyages Talaria.
Enfin, ma dernière lubie en date est de fabriquer des vélos sur mesure.