L’été dernier brûlaient les Monts d’Arrée.
Les Monts d’Arrée ce sont ces reliefs du centre de la Bretagne où j’aime retrouver le calme l’été quand le tourisme bat son plein en bord de mer. Avec un sommet à 385 m, on rirait volontiers de leur appellation ; mais l’ambiance des lieux et leur végétation ont bien un parfum de petites montagnes auquel je suis attaché, et auquel je reviens toujours avec délectation, comme en pèlerinage.
Quand la Bretagne – et bien d’autres endroits – brûlait dans la sécheresse de l’été dernier, je pédalais loin de là, sous la pluie. Des informations me parvenaient sporadiquement, dont je concevais mal la réalité. Ce n’est qu’au mois de septembre, en entendant dans mon émission de radio favorite le témoignage de deux paysans qui avaient lutté contre les flammes, que je me suis senti affecté.
Le Feu
Cet été en France, plus de 62 000 hectares ont brûlé. Jamais la Bretagne n’avait connu une telle sécheresse ni de tels incendies. Dans les Monts d’Arrée, les pompiers sont dépassés mais les agriculteurs se sont organisés pour lutter eux-mêmes contre le feu. Ils racontent.
À écouter sur la page des Pieds sur terre, France Culture.
Photo : Henri Moreau
Cette année plus que jamais la Bretagne a attiré les estivants. Très tôt dans l’été, on a vu la fréquentation s’accroître sur le littoral. Aussi dès les premiers jours de mes vacances, j’ai voulu retourner dans les terres, pour me ressourcer, et pour prendre le pouls, un an après, de cet environnement qui m’est cher.
En quelques minutes (c’est un secteur qui m’est familier), je traçais sur la carte l’itinéraire d’une boucle de trois jours : un jour pour l’approche, un autre à y déambuler, et un troisième pour le retour. On allait tâcher de mêler la visite de nos endroits favoris à la découverte de voies qui nous sont encore inconnues.
Préparer les bagages prend un peu plus de temps, mais on a l’habitude, et en une heure les vélos étaient harnachés d’un équipement adapté à cette escapade.
Avant de rejoindre les “sommets” bretons, il convient de passer par le bord de mer ! De chez nous, il faut à peine plus de vingt minutes pour descendre sur la fameuse plage de Saint-Michel-en-Grève, que ses algues vertes ont rendue célèbre. Le printemps et ce début d’été ont été assez propices à leur profusion. Pourtant la plage n’en est pas couverte – comme c’était le cas il y a une vingtaine d’années – et leur odeur n’est pas particulièrement remarquable.
Il faut dire que chaque jour maintenant des tracteurs brassent le sable pour les recueillir. Certains cherchent même à les valoriser en produits alimentaires, en cosmétiques… (Si bien que je me dis parfois que des entreprises pourraient se trouver dans l’embarras si on venait à faire cesser cette pollution.) L’éleveur qui cultive le champ voisin de chez moi en a parfois mêlé à sa terre, à la place du lisier – dont on sait qu’il est la principale cause de leur développement. Comme je l’interrogeais à ce propos, il commentait : “C’est bizarre ces algues, on sait pas trop d’où ça vient”…
Il faut croire que ça ne marchait pas très bien comme fertilisant, parce que depuis il est passé à autre chose. Il utilise maintenant du compost récupéré en déchetteries. Chaque fois c’est un spectacle désolant, car aux produits organiques sont mêlé un fatras de détritus plastiques ou autres. Le tri sélectif, c’est pas encore bien acquis pour tout le monde…
Bien sûr je ne lui jette pas la pierre. Comme nous tous il est pris dans un système ; et au fond il semble rechercher des solutions alternatives à l’épandage ordinaire…
Mais sur la route qui nous mène vers le Centre-Bretagne, on constate avec satisfaction que l’agriculture bio se développe. Il y a ces panneaux qui à côté du nom de telle ou telle ferme affichent le logo AB ; et puis il y a ces champs ou la plante cultivée cohabite avec des herbes diverses. On devine que la récolte doit s’en trouver compliquée ; mais on remercie en pensées les paysans qui font cet effort, et on comprend pourquoi on paye leurs produits un peu plus cher (pas toujours, d’ailleurs).
J’ai vu cette année dans mon jardin et autour de chez moi revenir des coquelicots, des papillons, des sauterelles, des libellules. Je ne sais pas si c’est à prendre comme une simple fluctuation naturelle, ou comme le signe que, malgré la lenteur avec laquelle on lutte contre les pollutions de toutes sortes, ces efforts ont bel et bien un effet positif sur l’environnement ; et je me prends à rêver que si on fournissait les efforts suffisants, la nature retrouverait son équilibre plus vite que ne le prédisent les modélisations scientifiques.
À l’exception de brèves averses le matin, le temps s’avère meilleur qu’annoncé. La météo nous avait déjà incités à retarder d’un jour notre départ ; mais d’autres contraintes impliquent qu’on ne reporte pas davantage. On a donc pris le parti de se lancer un jour où on nous promettait des averses. Deux belles journées devraient lui succéder.
“La chance sourit aux audacieux” prétend-on, et effectivement, passées deux douches abondantes mais fugaces auxquelles on était préparés, le temps s’améliore, et le vent finit même par chasser les nuages. (Je ne voudrais pas être météorologue en Bretagne !)
Sur la route s’élèvent par endroits des groupes d’éoliennes, totems modernes, incantations aux dieux du vent.
On atteint en fin d’après-midi notre montagne monticule, sur sa frange orientale. Dans ce secteur, je ne remarque aucune trace d’un feu passé.
Pas étonnant : d’après les cartes que j’ai consultées, l’incendie s’est surtout propagé dans le secteur de Saint-Rivoal, plus à l’ouest. On passe la crête en empruntant un chemin de terre qui traverse la lande. Ici tout semble aller pour le mieux. L’alternance de pluie et de soleil de ces derniers mois bénéficie à la flore. Si les herbes poussent un peu moins à présent, les branches s’étendent inlassablement, et leurs extrémités portent encore des feuilles au vert frais.
On espérait faire à La Feuillée quelques provisions pour le lendemain, remplir les gourdes, et trouver un lieu à proximité où bivouaquer. Mais rien n’est ouvert ici, et on ne sait pas trop nous dire quelles seront les opportunités du lendemain sur notre parcours. On pousse donc jusqu’à Brennilis, ou la supérette ne devrait pas encore avoir fermé à cette heure.
De là on rejoint les bords du lac, où on a déjà bivouaqué en d’autres occasions. Cherchant un point d’eau à proximité du camping municipal, on réalise que celui-ci présente les mêmes charmes que l’endroit où on avait établi notre camp de fortune par le passé ; on s’y sent presqu’aussi bien qu’en camping sauvage. Pourquoi ne pas nous installer là après tout ? Au moins on ne se demandera pas si notre présence risque de déranger quelqu’un !
Après la douche (c’est bien aussi une douche !), on dîne sur le ponton, dans les rayons du soleil qui tarde en cette période de l’année à disparaître derrière les crêtes.
Paisible soirée. Pourtant une étrangeté plane invariablement sur les bords de ce lac.
C’est un réservoir artificiel. Un peu plus loin sur sa rive siège un barrage qui régule le flux de l’eau desservant une centrale nucléaire. Le site nucléaire de Brennilis a servi de 1967 à 1985. Il est depuis en cours de démantèlement ; une procédure qui devrait se poursuivre jusqu’en 2040. Quatre-vingt personnes travaillent encore aujourd’hui à la maintenance et la sécurité des installations.
Quand on arpente le secteur – et plus encore quand on y dort – on garde toujours dans un coin de l’esprit quelques questions plus ou moins légitimes. Est-ce qu’il pourrait se produire un accident maintenant ? Est-ce que les lieux sont radioactifs ? Et si on se baigne dans le lac ? Et le poisson qu’on y pêche ? Etc. (Les gens qui habitent ici doivent vivre avec ces idées en permanence. À moins qu’ils n’aient choisi de ne plus y penser…)
On s’interroge sur la pertinence de troquer les énergies fossiles pour celle de l’atome. On songe aux énergies renouvelables, très insuffisantes paraît-il pour répondre au niveau de nos consommations…
Vus de loin, les versants du mont Saint-Michel (de Braspart !) ne paraissent pas moins verts qu’en l’occasion de mes précédentes visites. Ils auraient même quelque chose de plus printanier.
On s’en approche le lendemain par des sentiers parsemés de flaques qui ne disparaissent qu’en cas de périodes sèches. (Je me garde bien de mettre des chaussures fermées quand je viens rouler par ici ! Les sandales sont une stratégie plus adéquate.)
Ce n’est qu’après avoir franchi la route qui rallie Morlaix à Quimper qu’on observe finalement des marques flagrantes des incendies passés. Mais déjà la vie a repris le dessus sur la cendre. Les buissons calcinés n’apparaissent plus qu’en percées dans une végétation renouvelée. D’aucun prétendent que ces feux ont rafraîchi un milieu saturé. J’entendais aussi il y a peu une spécialiste des écosystèmes souligner que nous voyons souvent l’équilibre de la nature comme quelque chose de figé, alors que des événements brusques (incendies, raz de marée, éruptions…) viennent régulièrement rebattre les cartes. (En fait, les incendies ne sont par rares dans les monts d’Arrée.) La nature est sans doute largement capable de se remettre de tous les torts que nous lui infligeons. L’ampleur de notre impact consiste peut-être davantage en la mesure du temps que nous lui laissons pour se reconstruire entre deux nuisances… (?)
En haut du tertre, la chapelle du XVIIème siècle a été restaurée. Les pompiers étaient parvenus à ce que les flammes n’atteignent pas l’édifice, mais la chaleur et les fumées ont engendré des dégâts importants, venus s’ajouter à un vieillissement préoccupant. L’ensemble – sols, murs, toiture, vitraux et mobilier – a été réparé ou remplacé.
De ces hauteurs, on admire la vue sur le lac, les landes, et jusqu’à la mer. Sans y prêter attention, on ne devinerait pas que les environs étaient pris dans un immense brasier l’an passé. Sans doute si les arbres calcinés n’avaient pas été coupés ce serait demeuré plus flagrant – pour bien des années encore. Pour ceux restés debout, à les voir dénués de leurs feuilles, on croirait simplement que c’est l’hiver…
Reprenant notre excursion par un chemin des plus cahoteux, on rejoint ensuite un secteur qu’on n’a encore jamais arpenté. Une belle route déserte de toute circulation nous offre un répit appréciable dans cette journée dédiée à la piste, avant que nous ne nous trouvions à pousser les vélos sur un sentier pentu et embroussaillé. On croise encore par endroits des signes du feu. À l’évidence, certains arbres ont été cernés par les flammes, mais ont survécu.
De retour sur les crêtes, on croise quelques randonneur ; mais depuis le matin on est stupéfaits de voir si peu de monde (sauf à la chapelle). Le contraste est frappant avec le bord de mer, 40 Km plus au nord.
Pour se donner un rendez-vous facile avec des amies venues assister au festival des Vieilles Charrues (à 30Km de là), on revient dès le milieu d’après-midi au camping de Brennilis, où on passera finalement une seconde nuit. C’était bien la peine de lever le camp ce matin, et de trimbaler tout notre équipement sur ces chemins !
Ce soir-là c’est à quatre qu’on savoure un pique-nique sur les bords du lac, soulagés que les lieux que nous chérissons aient conservé leur force vitale. L’écosystème des Monts d’Arrée se reconstitue déjà, et nos appréhensions pour les années à venir se trouvent quelque peu tempérées par de nouveaux espoirs.
