Super promos sur l'aventure !

Super promos sur l'aventure !
Les Vélos Migrateurs est un média participatif
Racontez-nous vos voyages
Par
éditeur

Ah, l'Aventure !
Pour peu qu'on chausse des pneus de plus de 33mm, le monde du vélo semble ne plus exister que par ce mot. À tout bout de champ on le retrouve ; dans tous les slogans publicitaires, dans tous les récits d'escapades. De plus en plus nombreux sont ceux qui s'en revendiquent, se disent a-ven-tu-riers.
L'expression semble faire consensus. Pourtant...

En 1935, Ella Maillart et Peter Fleming rallient ensemble Pékin à Srinagar (au Cachemire). Leur curiosité est aimantée par la province Chinoise du Xinjiang, alors interdite, au bord de la guerre civile, destabilisée par des révoltes ethniques et les intrigues soviétiques. Dans un périple de sept mois, ils empruntent sans visas les routes perdues du haut-plateau tibétain, du désert de Taklamakan et des cols du Karakorum. Improvisant leur parcours, ils se joignent aux caravanes chamelières mongoles, affrontent les tempêtes de sable et la menace du banditisme de grand chemin, voient périr leurs animaux de bât, chassent le rare gibier pour remplir leurs écuelles…

Hors – déjà à l'époque – Fleming ressent le besoin d'avertir les lecteurs du récit qu'il fait de ces pérégrinations :

Nous avions un trait commun : nous étions unis par la même aversion des valeurs fausses répandues sous ce qu'on se plaît à désigner par le terme commercial d’“aventures”.

Je me demande parfois si je suis le seul, mais lorsque j'entends employer le mot “aventure” dans le cadre d'un week-end de bikepacking, équipé d'un vélo en titane, d'un GPS à écran tactile, de petits plats lyophilisés, et sponsorisé par une marque de vêtements de cyclisme, pour moi ça ne colle pas. Même si on se trompe de chemin, et même si on crève trois fois son pneu tubeless ! J'ai l'impression que la qualification d'aventure doit se mériter davantage.
Supposons même un programme un peu plus ambitieux, disons une traversée de l'Islande (c'est très en vogue depuis quelques temps, et ça ne semble pas une sinécure). Est-ce que si je pose quinze jours de vacances pour ça et que je reviens ensuite à mon boulot, mes factures et mon cours de squash le samedi après-midi... est-ce que dans ce cas je peux parler d'aventure ?

En parcourant les dictionnaires, je trouve dans le TLF l'acception qui me semble le plus se rapprocher de ce que je comprends dans les récits des cyclistes qui emploient le mot : “Entreprise remarquable par le grand nombre de ses difficultés et l'incertitude de son aboutissement.” À ces aléas semblent aussi s'ajouter des moments de joie, voire d'extase, qui rendent l'expérience délectable, et désirable ; mais je crois qu'on est à peu près sur la bonne définition.

Or il manque à mon sens une composante essentielle.

C'est lorsque vous avez chaussé vos pantoufles que vous rêvez d'aventure. En pleine aventure, vous avez la nostalgie de vos pantoufles.

Thornton Wilder

Un compère de route proposait une fois – non sans ironie – que pour pouvoir parler d'aventure, il fallait qu'on ait tenté de vous assassiner (ou que pour le moins vous ayez attrapé la malaria).
Je ne sais pas s'il faut en arriver là, mais au sens où j'entends le mot, il implique bien un risque ; peut-être celui de tout perdre.
Qu'advient-il si on rencontre l'échec : la ruine ? la mort ? le goulag ? ou juste la honte sur les réseaux sociaux ? Si j'ai la possibilité d'appeler le SAMU, si ma Mastercard peut me sortir de la panade, est-ce que c'est de l'aventure ?

Quand on me parle d'aventuriers, je pense aux pirates du XVIIè siècle qui assassinaient, pillaient, violaient à travers les Caraïbes ; aux mercenaires, qui non dénués d'une fascination morbide vont en guerre au service du plus offrant ; aux chercheurs d'or du Yukon, qui bravaient pour tromper la misère non seulement ce que la nature avait à leur opposer de grands froids et d'ours, mais encore de bandits et d'Indiens défendant leurs terres ; je pense à Lawrence d'Arabie qui mena dans des méharées épiques les Bédouins en révolte contre l'Empire Ottoman ; à Arthur Rimbaud qui après avoir réinventé la poésie vagabonda en Europe et autour de la mer rouge, puis s'adonna à des trafics périlleux en Abyssinie… Je pense encore à diverses effigies glorieuses ou odieuses – avec une frontière parfois trouble entre les deux.
Quand on se dit aventurier, on se réclame des miséreux affamés ? des odieux assassins ? des figures illustres ?
À quelqu'un comme Ferdynand Ossendowski, pourchassé par la répression bolchevique, l'aventure est arrivée contre son gré. Peut-on comparer le cyclo-tourisme – même le plus audacieux – à l'exil sous peine de mort ?

J’ai poussé un peu plus avant, disait-il, et puis encore un peu plus, jusqu’au moment où je me suis trouvé être allé si loin que je ne vois trop comment j’arriverai jamais à revenir sur mes pas…

Joseph Conrad

Nous ne pédalons pas pour sauver nos vies, conquérir des territoires, libérer des peuples ou faire fortune, nous pédalons pour voir du pays, pour passer de doux moments en nature, pour faire des rencontres, des découvertes.

Les voyageurs sont-ils des aventuriers ? Certains peut-être. (Et qu'est-ce qui distingue un voyageur d'un touriste ?) Mais qui peut se targuer aujourd'hui d'avoir entrepris des expéditions pareilles à celles d'Alexandra David Néel, de James Cook, d'Ibn Battûta ?

Sans doute, à l'époque où la terre entière a été cartographiée et où des relations ont été établies entre toutes les nations, les occasions se font rares d'explorer, de braver l'inconnu, de s'illustrer comme aventurier. C'est peut-être ce qui explique qu'on emploie le mot pour de moindres frasques. Peut-être aussi pour ça que s'inventent d'improbables entreprises, précieuses chances de s'illustrer sur Intagram : qui sera le premier à traverser l'Antartique en claquettes ? le Sahara en rollers ?

Ou bien on pourrait estimer que l’aventure est une notion relative. Pour qui n’est jamais sorti de son village, se rendre dans la localité voisine pourrait revêtir un caractère extraordinaire. Mais qu’en diront ceux qui font quotidiennement la navette entre les deux patelins ? Il conviendra de mettre force guillemets lorsqu’on rapportera son épopée.
Je n’ai pas le souvenir d’en avoir vu beaucoup dans les récits de ceux qui se revendiquent aujourd’hui de l'aventure.

Jean-Paul Sartre soulignait :

Il m'est arrivé des histoires, des événements, des incidents, tout ce qu'on voudra. Mais pas des aventures. Les aventures sont dans les livres.

Quand on pense aux figures citées plus haut... quand on pense à ce que la littérature nous propose d'aventures (chez Defoe, Stevenson, Conrad, London, Kipling... sans parler de la SF et du fantastique... sans parler du cinéma…) peut-on sérieusement qualifier ses vacances cyclistes d'aventures ?

Sartre ajoute :

Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter.

En ce sens, on pourrait dire que quand on se revendique de l'aventure, on se raconte des histoires ! Et c'est peut-être là au fond que je voudrais en venir.

Non sans une petite moue, je comprendrais qu'on parle d'aventure pour des traversées de déserts (avec un vélo déglingué, de préférence) ou des voyages au long cours. Mais j'approuve surtout le mot quand je le vois employé avec des épithètes ou dans des formules qui minorent l'exploit, ou qui jouent d'ironie. “Ma petite aventure du week-end”, “Les aventuriers de la véloroute”...

Le lexique français ne manque pas d’alternatives pour désigner nos sorties de cyclo-camping : virées, échappées, escapades, randonnées, éventuellement voyages, pérégrinations, baroudes, bourlingues...
Serge Leret, qui a roulé de France en Chine dans les années 90, a donné pour titre à son livre “Les tribulations d'un pédaleur errant”. Un humour et une humilité qui semblent s'être raréfiés depuis.

Pour nos vacances à l'étranger, pour nos courses de bikepacking, de grâce restons modestes. Laissons l'aventure où est sa demeure – dans nos aspirations, par devant nous – et ne nous targons pas trop de l'avoir rencontrée, sans quoi nous aurons tôt fait de la vider de tout son sens.

L'aventure n'existe pas. Elle est dans l'esprit de celui qui la poursuit, et dès qu'il peut la toucher du doigt, elle s'évanouit pour renaître bien plus loin, sous une autre forme, aux limites de l'imagination.

Pierre Mac Orlan

Quand le Club Med se revendiquera de l'aventure, le mot sera perdu.


Image de tête : issue de la série Tarzan the Fearless, domaine public.

Pour recevoir par email les nouvelles publications, inscrivez-vous.

Après cinq ans passés au Proche-Orient et en Amérique Centrale, je suis venu au vélo par intérêt pour le voyage. D’abord un tour en ma Bretagne natale, puis quelques équipées sur des terrains plus relevés, et bientôt je partais pour six mois de route entre Asie du Sud-Est et Asie Centrale.
Il m’est difficile à présent de concevoir un voyage sur un autre mode ; et pour toutes mes vacances ou presque, ainsi qu’un certain nombre de mes week-ends, je charge le matériel de camping pour une échappée vélocipédique au grand air, au pas de ma porte ou au bout du monde.

Informaticien à mes heures perdues, je suis également le développeur-éditeur-modérateur-dictateur de ce site, et du planificateur de voyages Talaria.

Enfin, ma dernière lubie en date est de fabriquer des vélos sur mesure.

éditeur 158 billets 94 commentaires
Écrire un nouveau commentaire
Recevoir par email les commentaires publiés sur cette page :
  • Elise, le 09/11/2021 à 17h47
    En terme de périple, j'ai découvert par un ami ceux d'Alain Guigny, un breton de Pordic qui a fait un gros paquet de km à vélo à travers le monde , sur plusieurs années, dans les années 70

    Incroyable !

    je vous recommande la lecture de ses ouvrages : la terre sur 2 roues et deux vélos pour le bout du monde
    • Abrab Assor, à Elise, le 11/11/2021 à 14h35
      Et du coup il parle d'aventure Alain Guigny ?
      Et @erwan, il est ok pour "aventure" ?
      • Erwan, à Abrab Assor, le 11/11/2021 à 14h43
        Si c'est pour un Breton, Erwan il est ok pour tous les privilèges !
      • Elise, à Abrab Assor, le 12/11/2021 à 10h45
        Ben vu ce qu'il a traversé, j'ai envie de dire que oui,c'est l'aventure pour A.Guigny
        il finit avec des roues pleines qu'il a bricolées ou protège ses pneus de l'usure avec du chatterton, il creve de faim, manque de se faire bouffer sa tente par des fourmis rouges, pédale dans la boue aussi bien que dans la neige....
        le gps n'existait pas...
        • Abrab Assor, à Elise, le 12/11/2021 à 13h24
          Ok, pour moi aussi c'est de l'aventure. Mais ma question c'était plutôt si lui-même utilise ce mot-là ?
  • Erwan, le 26/10/2021 à 20h57
    @mark : Ne le prends pas personnellement. On n'emploie pas le même lexique, mais j'adore tes histoires de Grand Bi. ;)